Voici tous les coeurs à prendre... Dont je suis illustrateur : Les formes, avec Coralie Saudo. Les couleurs, avec Coralie Saudo. Qu'est-ce qui est plus gros qu'une souris ?, avec Michaël Escoffier. De temps en temps, avec Alice Brière-Haquet. Monsieur Licorne, avec Marie-France Chevron. Je suis celle au coeur vêtu de rose, avec Delphine Gouny. La Cage, avec Alice Brière-Haquet. L'Arbre du matin gris, avec Géraldine Collet. Le Soleil sur la colline, avec Sandrine Beau. Un gros canard, avec Michaël Escoffier. Dont je suis auteur : Hector, illustré par Coralie Saudo. Le Lai d'Aubrac. Le Lai de l'Armance. Le Lai d'Isaïe. Dont je suis auteur et illustrateur : Salut les copains !. La Grande Bouche de Barthélémy. Petit Renard. Mais qui est Philibert ?

lundi 14 février 2011

Petit Renard

Un projet plutôt original, en feuilles d'automne découpées, sur un petit renard qui découvre le monde des sens, en parcourant la forêt.
 

De temps en temps

Comme un livre d'heures, sur un texte poétique et sensible de Alice Brière-Haquet.
 
 

Le Lai d'Aubrac

Ce lai a été écrit après des vacances sur les terres de mes grand-parents, en Lozère, sur le plateau d'Aubrac, avec les petits murets, les couleurs, la désolation et les vaches aux yeux de biche.

la lande jaune ondoyante sous un ciel d’orage
un ciel mauve gris vert
lourd menaçant
plein d’une pluie à venir
de grêle d’éclairs et de neige
le vent fait son travail de vent
il souffle en sifflant
il court sur la lande
libre généreux ample
aucun n’arbre n’est là pour l’arrêter
le combattre lui dire stop
t’es pas de ma bande
il souffle et il siffle
les moutons les vaches aux yeux de biche
s’assemblent se rassemblent
pour ne pas disperser leur chaleur
fait frisquet
et ce vent et ce ciel et ce qui doit advenir
font peur
et quand on a peur l’on est mieux en groupe en grappe on se raconte des histoires drôles
des histoires d’agneaux maladroits de veaux à trois têtes
de vachers et de bonnes filles
on passe le temps pour oublier le temps
en attendant gentiment
quand on sera à court de laine
quand on sera à court de lait
la masse du boucher
le coup au crane qui renvoie avant la naissance
avant le chaud du ventre de maman
avant tout
au rien
les nuages roulent
dans le lointain on entend déjà l’hallali des tonnerres
un grondement assourdi qui dit
me v’là j’arrive
et qui s’approche se rapproche
tonitruant
avec sa pluie qui fouette avec sa pluie qui glace
ses grêles comme des cailloux
sa neige douce qui marquera la fin de l’orage
qui recouvrira l’herbe jaune
fera des rochers des hommes de neige
et des murets
des armées saisies dans leur marche
ça va glacer le museau
il faudra gratter la neige
pour atteindre quelques brins gelés
vivement la bergerie
vivement l’étable
qu’il fasse chaud que les murs nous protègent du vent
que le foin soit bon
mais le vacher la bergère ne risquent pas de venir
par ce temps par cette menace
ils doivent être trop occupés à souiller notre foin
à peu de là
dans un vieux bâtiment au pierres mal ajustées
au toit qui louche aux murs qui tremblent
sous les coups des vents sous les rafales des pluies
sous ce toit entre ces murs
si l’on dresse l’oreille si l’on oublie l’énorme pssscchhh du vent
les flic-floc assourdissants de la pluie
le ttrrrr vrammm des tonnerres
si l’on oublie tout cela
si l’on tend bien l’oreille
on peut entendre des gémissements
et si
curieux voulant savoir quelle bête crie de la sorte
si l’on brave les éléments déchaînés et que l’on jette un de ses yeux
discrètement on ne sait pas ce que sait tout de même
mieux vaut être prudent
si le loup était monté de margeride du gévaudan pour se réfugier dans cette grange écroulée sur cette steppe jaune verte et mauve
balayée par les pluies les vents la neige
et si l’on jette un oeil
on peut voir que la bête à deux dos
que la bête est une bergère
une bergère nue
brune aux seins ronds
que la bête est un vacher
un vacher nu
brun et sans sein
si l’on s’éloigne
en marchant sur des oeufs
il ne faut pas déranger cette bête
et si l’on rebrave les éléments
et si l’on n’est pas emporté par une rafale
et si l’on parvient sain et sauf jusqu’à la taverne
du petit village de pierres brunes et d’ardoises bleues
recroquevillé dans un plissement faisant le gros dos
si l’on y rentre
on peut y entendre
si l’on choisi le bon pochard
non pas celui-ci le tout sec il ne dira mot il se méfie des étrangers
oui celui-là le tout rond le jovial le tout rouge
si l’on a bien choisi
l’on peut y entendre
l’histoire de cette bête l’histoire de ces amants
le feu crépite dans l’âtre on prend un verre on en offre un au tout-rouge
et on l’interroge sur ces deux amants
il lève les yeux semble chercher loin dans sa pensée
profond
puis il parle
autrefois
dans notre petit village il y avait deux familles
l’une riches paysans qui possédaient au moins dix-sept vaches
vous savez de nos vaches celles aux yeux comme biches
l’autre la mère et sa fille très pauvre
vivant de quelques coutures pour tout dire de la charité publique
dans la famille des riches paysans vint au monde un beau garçon
braillant comme un loup potelé de partout
dans l’autre famille vint au monde une fille
on n’a jamais su qui était son père
une fille au larges yeux bleus
les années passèrent
ces deux enfants grandirent
ils étaient inséparables
tout petit déjà quand il menait les vaches aux champs
elle l’accompagnait
lorsque l’hiver les vaches bien au chaud dans leur étable
serrées les unes contre les autres
n’avaient pas à sortir
à la veillée
ils se blottissaient l’un contre l’autre
suçant leur pouce
écoutant les vieux qui racontaient des histoires
de sorcières et de loups
de bêtes du gévaudan
des histoires du bon vieux temps
l’hiver aux veillées
aux coins d’un bon feu
qui faisait luire leurs yeux
alors que dehors
le vent soufflait sur le plateau
en formant des congères avec la neige
alors que dehors le vent sifflait
et qu’une bonne chaleur
et l’eau de vie la gnôle de l’aubrac et l’aligot
chauffaient les cœurs
ils veillaient
suçant leur pouce
plus tard ils grandirent
menèrent les vaches
ensemble
aux pâturages verts et jaunes
plein de beaux chardons mauves
les parents du garçon s’inquiétaient de cette fréquentation
de ce déclassement
leur grand frayait avec une moins que rien
alors que tant de grasses filles de propriétaires
aux jours roses
à la poitrine déjà ample
auraient fait de bien meilleurs partis
ils s’inquiétaient
ils disaient
bah ça lui passera
et quand le temps sera venu
on le mariera à la francette à la suzanne
à la bernadette
toutes filles amples roses et grasses
filles de bons propriétaires
pourvues de bonnes dots
pas des souillons
elles
pas des filles de je ne sais quelle marie-couche-toi-là
de bonnes filles qu’on un père
elles
pas un vagabond
quelque pouilleux de passage
qui
lorsqu’il ne chasse pas ses poux
engrosse les pauvres filles
une fille sans avenir
qui traînera plus tard
dans les rues de la grande ville
loin
à marvejols à mende
mendiant son pain
vendant son corps aux premiers venus
pour quelques sous
notre garçon n’épousera pas cette traînée
cette fille sans avenir
elle n’a pas de dot
elle ne sera jamais notre bru
drôle d’ambiance dans le village
tout le monde prenait partie contre ce joli petit couple
ce petit couple d’amoureux qui ne demandait pas autre chose
qu’on les laisse tranquilles
une bonne grange et du foin moelleux
qui ne demandait rien
juste à rester ensemble
au lieu de cela
lorsqu’ils apparaissaient dans la rue du village
les enfants leur jetaient des pierres
les vieux grognaient
les femmes
bonnes matrones grosses hanches de reproductrices
les injuriaient
c’était pas la joie
puis un jour
à force de fouler le foin à force de se réfugier dans les granges
il arriva ce qui devait arriver
aux jeunes gens peu précautionneux
aux jeunes gens amoureux
la fille fut enceinte
elle le cacha d’abord
puis les mois passant
elle s’arrondit
si bien qu’on ne put plus ignorer son état
ça jasait sec à la taverne
ça s’échauffait
ça criait
le patron était content
on n’avait
de mémoire de villageois
jamais fait une telle consommation de gnole
on s’entraînait
et plus cela devenait violent
puis les hommes
abrutis par l’alcool
le cerveau gourd
embrumé
leur sang ne fit qu’un demi-tour
prirent une décision
ils prirent leurs fourches
c’était au crépuscule à l’heure des loups
il faisait moche c’est-à-dire que c’était beau
le ciel était bas et lourd et mauve
comme un couvercle mauve
l’herbe rase était jaune puis verte puis jaune
enchardonnée de violet
ambiance genre sleepy hollow
les vaches se faisaient toutes petites
tassées dans leurs étables
toutes silencieuses
apeurées par le fracas des éclairs
mamans vaches calmant enfants veaux
qui couinaient doucement et tremblaient tremblaient et tremblaient
il y avait quelque chose dans l’air
quelque chose de tordu de pas sain
les hommes excités parcouraient rageusement le village
à la recherche des amants fautifs
eux ne s’en faisaient guère
réfugiés bien à l’abri dans une grange
sur un foin sec et chaud
ils s’aimaient tout doucement
lentement
dans le vacarme de l’orage
soudain la porte s’ouvrit sous une bourrasque furieuse
une bourrasque de haine
la bourrasque des hommes trop souls
ils les attrapèrent
et les traînèrent nus sous l’orage
tout en les frappant de leurs pieds de leurs poings
du manche de leurs fourches
les hommes affolés par le sang qu’ils répandaient
de ses corps qui se disloquaient
de cette fille qui cherchait à protéger son ventre
à protéger son petit
redoublaient leurs coups
de plus en plus furieusement
de plus en plus violemment
si bien qu’à la fin
il ne resta des deux amants
que deux pardon trois corps inertes
sanglants
méconnaissables
désarticulés
beautés mises en charpie
beauté lapidée
sur laquelle les bêtes cruelles continuaient à s’acharner
enfin enfin
fatigués de cogner
ils s’arrêtèrent
abandonnant les corps sur l’herbe rase jaune puis verte puis jaune
tachées de chardons
puis rouge
d’un sang vraiment pur
d’un sang amoureux
d’un sang répandu par la haine

depuis
à chaque tempête
à l’heure des loups
lorsque l’orage trempe le ciel
y dispose de lourds nuages gris et mauves
lorsque les vaches-biches
se tassent dans leurs étables se font toutes petites
se serrant et rassurant leurs enfants
depuis
à chaque tempête
lorsque les éléments se déchaînent
sur la lande jaune puis verte puis jaune
piquetée de chardons on entend
ces gémissements de loup
et si l’on fait attention
si l’on approche précautionneusement
de la grange
qu’on y risque un œil
on peut voir sur le foin
empourprés dans un halo
deux magnifiques spectres
qui ne cessent de s’aimer

L'Arbre du matin gris

Sur un beau texte calme et mélancolique de Géraldine Collet.
 

La Cage

Sur une belle ritournelle de Alice Brière-Haquet, un projet plein d'oiseaux et de notes de musique, sur la liberté.
 

Je suis celle au coeur vêtu de rose

Une belle histoire sur la difficulté de déménager et sur la naissance de l'amitié, écrite par dame Gouny.
 

Le Lai d'Isaïe

Une petite histoire, un lai, peut-être pas pour les enfants. 


Isaïe
la petite paysanne brune aime les framboises sauvages
il fait beau aujourd’hui l’aube veine le ciel déjà la brume mauve
monte du sol s’accroche aux frondaisons des chênes de la forêt
se répand dans les ramages aveugle les oiseaux
qui commencent tout juste de chanter

Isaïe court sur le sentelet fraîche heureuse matinale chante doucement
qu’elle aime les framboises mouillées de rosée
qu’elle aime les bois les matins pleins de brumes
les fleurs les écureuils et les oiseaux

les oiseaux les framboises les fleurs les écureuils chantent doucement
qu’ils aiment Isaïe la forêt la vie les brumes quand le soleil les chatouille y tente des percées
s’y réfracte et s’y décompose

la feuille l’amie du jour
Isaïe l’amie du jour le pinson
son chant dodécaphonique façon Schoenberg
la petite paysanne
Isaïe
court et chantonne le long d’un ruisselet
eau vive cristalline claire bleue pleine
de têtards de menus poissons dorés
ruisselet
qui galope
parmi les pierres et les mousses

soudain elle s’arrête
que voit-elle
elle n’a pas peur ce n’est pas un sanglier ni même une grosse araignée
mais que voit-elle donc
alors
une petite une toute petite fleur
mauve et or
une petite fleur fragile mais si jolie
petite tête violette posée sur un cou si frêle gracile
vert comme il sied
elle s’arrête
de courir de chanter de penser
elle se perd en contemplation oublie
s’oublie
s’éblouit qu’elle est belle
qu’elles sont belles
frêles
elle repart grosse de rêves chantonnante divaguante
elle a une amie une fleur un trésor

le soir elle s’endort pensant à sa fleur
le matin elle se lève
hâtive de la retrouver impatiente
elle trottine sur les sentiers néglige l’écureuil
et les rayons roses du soleil
son monde est une fleur

elles grandissent jour après jour
elles deviennent filles
Isaïe mène maintenant vie de fille
vie d’émois d’amourettes déçues décevantes de cachotteries
sa fleur écoute ses confidences comment untel est beau comme un cœur
comment la maîtresse est méchante comment ses autres amies sont cruelles
toutes nattées de blond bêtes comme des balais
elle a redécouvert l’écureuil la forêt le soleil dans la brume les ramages et les framboises
elle lui rapporte tous les potins des bois
invente des nymphes et des Ariel
lui conte les histoires de fées de sorcières
qu’on lui raconte à la veillée
les lacs mystérieux qui abritent des îles où le temps est suspendu
où des femmes évanescentes diaboliquement belles tordent leurs cheveux verts
font de beaux chevaliers des hommes objets
elle lui raconte les lais de Marie
les merveilles de la Bretagne les Merlins et les dolmens
les cygnes
les rose et Brocéliande

pourtant
un jour un matin pour être précis
un chevalier vient à passer
par cet endroit perdu de la forêt
à l’heure où Isaïe dévale les sentelets
pressée d’aller conter fleurette à sa fleur
et il voit Isaïe et il tombe amoureux
raide

discrètement
demandant à son cheval de trotter sur des œufs
il la suit
émerveillé
de tant de beauté de tant de fraîcheur
c’est le plus bel ornement de ces bois
l’Ophélie et ses lys
le chevalier est éperdument amoureux
il perd le sommeil
l’appétit
néglige son faucon la veuve et l’orphelin les belles de la cour
évidemment
il est fils de roi
c’est couru c’est un lai
c’est un prince

il perd la santé
pire
écrit des poèmes
aux accents nervaliens
sa seule étoile est morte

le roi
son père
s’inquiète de tant de langueur
organise des chasses des tournois lui abandonne ses plus belles courtisanes
et même les plus vicieuses
rien n’y fait
à la chasse il rêve
aux tournois il est démonté par des chevaliers de troisième zone
les concubines les plus expertes les plus coquines ne parviennent pas à ranimer sa flamme
il dépérit
et chaque matin levé à l’aube il court la forêt
son luth constellé sous le bras
contempler les belles au bord du ruisselet perdu au fond de la forêt

un matin
cependant
il prend une grave une grande décision
aujourd’hui je me déclare ça ne peux plus durer
et il s’ablutionne longuement
se lisse les cheveux se parfume de gentiane
enfile ses plus beaux atours
sa cape brodée de fils d’or ses brodequins ornés d’émeraudes son heaume surmonté d’une
plume d’autruche
pare son cheval le fait beau le parfume de jasmin
emprunte Durendale au roi
la brique la laque la brille
afin d’impressionner la belle paysanne brune
puis
le port altier le menton haut les yeux en feu
il s’en va dans la forêt
je ne peux pas arriver les mains vides
ça la fait pas
me déclarer sans rien offrir
ça n’est pas galant
je vais lui faire un joli bouquet de fleurs de forêt
quelque chose de simple
de sensible
qui la touchera
c’est une femme elle aime les fleurs
et je vais lui offrir la plus belle des fleurs
la reine de la composition sa fleur

elle va rougir elle va être adorable
rouge et brune
puis je lui déclamerai mes poèmes mes nuits
mes chants de Maldoror
elle va adorer
elle sera ma princesse
ma petite paysanne
ma sylphide ma nymphe ma

il approche du ruisselet
se redresse encore
en route il a cueilli quelques fleurs
des violettes et des bleuets
du mimosa de la bruyère
la voilà la belle fleur
voici de quoi conclure mon bouquet
il s’abaisse vers elle
puis d’une main délicate doucement tendrement
il la détache de sa tige
et s’apprête à la mettre au cœur de son bouquet
mais les pétales se rétractent
l’iris tourne cosaque
elle se rabougrit se dessèche
et tombe en poussière à ses pieds
en petit tas doré et mauve

tant pis

ses violettes son mimosa ses bleuets et sa bruyère
font déjà un bouquet très présentable
il ne reste plus qu’à attendre
attendre la petite paysanne brune
les minutes se mettent à passer puis se fondent en heures
2 heures puis 3 puis 4
que fait-elle
a-t-elle manqué son bus
a-t-elle été retenue
un agneau un veau est-il né
5 puis 6
il s’inquiète tourne en rond
pense à s’enquérir à l’ospital
pense à l’accident pense à la mort
puis il évacue tout ça
elle aura été retardée voilà tout
7 puis 8 la pénombre tombe rapidement suivie par l’ombre
elle ne viendra plus aujourd’hui
elle n’a pas pu venir elle viendra
demain
je reviendrai demain un autre bouquet à la main
d’autres nuits d’autres chants
et ma déclaration et mes cheveux lissés et ma plume d’autruche et mon fringant destrier

et il repart reprend le chemin du château
et là
sur le sentier
au milieu du sentier
la nuque baignant dans le frais cresson bleu
étendue dans l’herbe sous la nue
pâle dans son lit vert
la petite paysanne brune
Isaïe
dort d’un sommeil de gisant
pâle morte et seule

Hector

Sur un texte de moi, un projet délicieusement et malicieusement illustré par Coralie Saudo.

La Grande Bouche de Barthélémy

Barthélémy est un petit loup qui possède une très grande bouche et beaucoup de difficulté à se faire comprendre.
J'en suis l'auteur et l'illustrateur.
 

Un gros canard

C'est un projet mené avec Michaël Escoffier, qui réunit pour une histoire drôlatique et absurde un loup, un renard et un énorme canard.
 

Le Lai de l'Armance

Voici une histoire que j'ai écrite, en reprenant la forme du lai, une vieille forme médiévale que j'apprécie. 
C'est l'histoire de l'Armance, une petite rivière insouciante, qui va être confrontée à la rivalité de flots mieux installés, jaloux de sa jeunesse et de sa beauté.

L’été finissait dans une ultime floraison,
dans les blés jaunes ; les coquelicots flamboyants affichaient leur robe pourpre
comme pour un soir de première ;
les tournesols,
timides,
baissaient la tête, leur gros œil rond et noir tourné vers le sol.

L’on sentait déjà les vents de l’automne,
la promesse des feuilles rousses,
et des arbres nus,
agitant dans l’éther leurs longues branches décharnées,
comme des pales de moulins percées par quelque Don Quichotte.
Quelques fleurs désespéraient,
jaunes et pâles,
et se préparaient à mener lutte ;
tout un peuple, magnifique,
de bruyères, de mousses et de champignons sortait lentement de l’humus,
de l’ombre où les avait laissé un été trop radieux

L’automne,
l’automne arrivait, suivi de sa cohorte,
et au fond des vallons dans les forêts profondes l’on s’affairait.
Les lutins les farfadets chassaient les noisettes
pour en emplir leurs greniers.
La cigale ayant chanté tout l’été
était déjà partie
en Amérique du Sud pour une tournée de gala
et…

Mais quel est ce bruit ?
Ce doux chant, ce babil léger ?
C’est celui de l’Armance,
jeune rivière heureuse de couler, grosse déjà des pluies à venir,
insouciante,
tourbillonnante.

L’automne se préparait, fourbissant ses pluies, ses vents,
affûtait les épines de ses cosses,
recomptait dans sa boîte de couleurs
les ocres, les safrans, les sanguines, les ors
et les bruns de la touche finale.

L’Armance coulait
et vint à passer sous les fenêtres de la fée de l’été.
Celle-ci était fort blette,
après avoir régné sans partage,
commandé au soleil de darder ses chauds rayons sur les paysages desséchés,
après avoir jauni les blés, bruni les feuilles
et veillé aux amourettes dans les bottes de foin,
voici que son temps était désormais compté
et elle s’apprêtait
fouillant ses armoires à la recherche de ses gros pulls
à vivre vie de recluse.

Quand l’Armance passa,
précédée de son chant léger et doux,
la fée Bikini
car tel était le nom de la fée de l’été,
à ce bruit de jeunesse, à ce chant de l’espoir
tressaillit,
s’empourpra
comme si l’automne déjà était passé sur elle,
s’énerva,
et, le chant persistant,
s’emporta.

Qu’est-ce cette gueuse ? Venir se moquer
de moi, la fée de l’été,
faire retentir sous les fenêtres de ma demeure
mon oraison !
Venir chez moi rire de ma défaite !
Qu’est-ce cette insouciante, cette présomptueuse ?
Voilà qui mérite châtiment !
L’on ne se gausse pas impunément de la fée de l’été.
Et disant cela, ses mains se tordaient, ses yeux s’enflammaient ;
elle était colère la fée Bikini,
rejetant les causes de sa disgrâce,
sur cette jeune rivière qui ne faisait que passer.

Et l’Armance coulait son flot,
faisant ci et là de petits tourbillons pour amuser les poissons,
saluant au passage écureuils, lutins, cerfs, farfadets.
Elle chantait contre les pierres,
s’essayait à tous les flux,
heureuse d’éprouver sa jeune force,
tressant un cours tortueux au fond de son vallon,
promesse de la vallée,
secouait le sable,
impétueuse et insouciante.

La fée bikini enrageait, s’étranglait,
s’échauffait,
montait plan de bataille,
pour abattre, assécher sa rivale.
Il me faut des alliés, se dit-elle.
Et elle ouvrit son carnet d’adresses.

Qui appeler ?
Le seigneur des saisons, le Soleil tout-puissant ;
lui rappeler sa vieille antienne :
faire triompher
l’été
une fois pour toute
faire du monde un Sahara.

Qui appeler ?
La Loire, la Seine, le Rhône, la Garonne, flots seigneuriaux,
les enjoindre de se méfier
de cette rivale,
jeune faible encore mais riche d’une force à venir,
engoncée dans un vallon qu’elle pourrait un jour déborder.

Qui appeler ?
Quelques tenants d’un fief local, la Saône, le Var,
le Loir et le Cher,
la Dordogne.

Et la plèbe de l’eau : ruisseaux, oueds, ruisselets, gaves, torrents,
ces affluents envieux,
faire miroiter aux flots des profondeurs :
avens, bétoires,
qui hantent les gouffres et abritent de pâles animaux sans yeux
une place au Soleil.

Qui appeler ?
La fée du printemps, la fée Efflorescente,
diaphane et cruelle.

Ce serait prétexte
pour abattre, enfin, la fée de l’hiver, la fée Bouledeneige
et la sorcière de l’automne, la sorcière Cassenoisettes,
faire d’une pierre trois coups.

Elle envoya ses émissaires
porter messages au Soleil, aux seigneurs,
à leurs vassaux et leurs peuples ;
elle savait flatter les bas instincts, faire jouer les rivalités
elle savait intimider et corrompre.
Elle eut vite réuni ses alliés.
Le soleil vit là une occasion de triomphe : envoyer la lune en exil autour de quelque saturne
rejoindre d’autres proscrites,
se trouver sans rival dans un ciel immaculé et toujours
lumineux.
Les puissants fleuves voulaient écarter l’impétrante :
on ne sait pas de quoi demain est fait, disaient-ils.
Les autres, par couardise, par jalousie,
par peur de la jeunesse,
par peur de voir le monde ébranlé
désirant que celui de demain soit celui du passé,
satisfaits de l’immobilité,
béats et suiveurs
s’agrégèrent à la foule déjà nombreuse des alliés.

L’Armance,
ignorante de ce qui se tramait,
trop jeune, trop insouciante pour même y songer,
continuait son cours heureux.
Une armée marchait pourtant sur elle,
flots tempétueux pleins de rancœur,
d’autant plus farouches que l’ennemi était faible ;
à sa tête, le seigneur tout-puissant des cieux
accompagné de la fée Bikini.

Dans le ciel, la lune inquiète, sur cette scène, dardait un œil exsangue.

Une armée marchait sur elle,
et l’Armance tourbillonnait,
claire, lumineuse et fraîche.

Dans le ciel, la lune anxieuse voyait avancer cette armée,
dans le bruit, la fureur, la poussière ;
la lune effrayée d’une lutte si inégale,
se grattait la tête, il faut faire quelque chose,
c’est aussi mon avenir qui se joue là ;
il nous faut nous défendre
ou se retirer dans quelque couvent du ciel
et pleurer pour l’éternité des larmes amères ;
il nous faut nous défendre pour continuer à briller sur les nuits et les nuits
jusqu’à la nuit des temps.
Il me faut aider cette petite.
Sur qui compter ?
L’armée levée par la fée Bikini avançait dans un bruit de tonnerre
rutilante, pleine de lumière,
aveuglante, aveuglée ;
le sol tremblait.

Et l’Armance creusait son vallon, s’amusant des fleurs de ses rives
toutes écloses comme un hommage
de la beauté à la jeunesse,
jouant avec les castors.
Les elfes et les écureuils la saluaient
et elle riait,
et elle passait,
rapide, légère, forte.

La lune
au fond de sa mélancolie,
déjà résignée
probablement
à traverser l’éther pour s’en aller tourner autour d’une quelconque saturne,
au fond de sa mélancolie
entrevit,
entr’aperçut,
floue tout d’abord,
pâle,
atone,
une idée,
oh tout petite
mais pas si bête que cela :
il faut les noyer,
éteindre, doucher ce méchant Soleil, opposer l’eau à ses flammes,
il faut monter une armée contraire,
faire des prisonniers dans des gouttes d’eau
des animaux perpétuels.

Et elle envoya ses fées,
opalescentes,
diaphanes, transparentes
au-devant du peuple des bois ;
et ces fées exposèrent l’idée de la lune,
et l’on vota,
car l’on est fort démocrate au fond de nos forêts,
et l’on approuva,
et l’on se mit au travail,
et les castors en maître d’œuvre,
l’on érigea un barrage
contre lequel l’Armance,
d’abord interloquée,
vint buter et gonfler.

Elle gonfla, elle gonfla
comme la grenouille envieuse du bœuf,
et elle gonfla
accumulant ses jeunes forces,
ses flots neufs,
contre le mur que l’on dressait ;
et quand l’armée du Soleil vint à se montrer,
vocifératrice, pleine d’une injuste colère,
l’on rompit le barrage,
et l’Armance
se répandit avec force
et culbuta l’ennemi,
trempant la fée Bikini et mouillant le Soleil.

L’armée reflua,
prise de panique.

La fée Bikini et le Soleil,
dégoûtants ,
se regardèrent et se retournèrent
et se virent seuls.

Le soleil rentra lamentablement dans son ciel,
moqué par les étoiles,
et il se cacha,
et cacha sa morgue blessée
derrière des nuages demeurés fidèles.

Quant à la fée Bikini
l’on dit qu’elle se réfugia au Groenland.

L’Armance dorénavant coule son cours gracieux,
et l’on ne pense plus à le contrarier,
et elle salue les écureuils et les castors,
et elle fait des ronds, des rondes,
fille de l’eau et de l’automne.